L´histoire de « Barlande » commence par une belle soirée d’été à Tercé près de Poitiers lors de la première édition des ateliers d´InFiné aux Normandoux. Encerclé par les murs de calcaire blanc de la Carrière, un curieux duo, une guitare Flamenca et un violoncelle, se livre alors sur scène à un dialogue de famille à cordes. Car l´histoire de ce disque, c´est avant tout celle d´un père, Pedro Soler et de son fils, Gaspar Claus.

Né en 1938, témoin et acteur de « l’âge d´or » du flamenco. Pedro se forme à la guitare sur le tas mais aussi au côté de Pepe de Badajoz (accompagnateur d’Antonio Chacón). Ce dernier privilégiera avec son disciple un apprentissage à la force du jeu, par les sens et l´expérience. « J’ai rapidement senti que pour moi la voie n’était pas du côté des continuateurs de Ramon Montoya mais plutôt de ses prédécesseurs » précise Pedro. Il se produit auprès des plus grands (Pepe de la Matrona, Almaden, Juan Varea, Enrique Morente) et s´impose tout au long de sa carrière comme l´un des meilleurs représentants d’un Flamenco « tendance archaïque » en quête de dynamique, de sonorité plutôt que de virtuosité « volubile et brillante ». « Pour moi, s’exprimer à l’intérieur de cet héritage de générations en générations n’est pas un carcan réducteur mais au contraire une règle qui exige la recherche de la forme juste » rajoute Pedro. Profondément attaché à ses racines, à l’Espagne et l’Andalousie, Pedro n’en refuse pas pour autant le dialogue avec des instruments d’autres horizons musicaux, la contrebasse de Renaud Garcia-Fons ou les percussions indiennes de Ravi Prasad. Il est aujourd’hui l’un des guitaristes Flamenco les plus reconnus au monde.

Quant à Gaspar, tout le destine à une brillante carrière de violoncelliste. Mais à l´adolescence, il finit par abandonner le conservatoire de Perpignan, refusant de s´engager plus longtemps dans un parcours académique, par désir d’aller au delà d’une « beauté » consensuelle de son instrument et afin d’élargir le champ de son utilisation. « Ce qui m´intéresse dans le violoncelle, c´est son grain, la matière brute des sons qu’il produit » confie Gaspar. Il s´engage alors dans une nouvelle forme d´apprentissage « hors format’ » qui se nourrit des voyages, des rencontres et des découvertes. Il apprend l´usage du silence dans les compositions, à l´entretenir et à le rompre. Il développe un rapport quasi passionnel avec son instrument, qu’il frotte, tape ou caresse. Il côtoie une grande variété de scènes musicales dont les scènes avant-garde et improvisées, japonaises (Sashiko M, Yoshihide Otomo, Keiji Haino), françaises (Catherine Jauniaux, Benat Achiary, Nosfell…) et new yorkaises (Bryce Dessner, Sufjan Stevens…) mais aussi la musique électronique (Joakim, Rone) , les musiques traditionnelles (Mongolie, Mali, Japon…) et d’autres encore.. « L’horizon des possibles ne s’est encore jamais réduit devant moi et une chose est sûre, je ne sais pas où je vais » poursuit-il.

Il y a quelques années, père et fils se recroisent. Gaspar a grandi et une alchimie inédite se crée sur scène. « Quand il s’est introduit presque comme par jeu dans ma musique, j’ai immédiatement senti que par des voies totalement différentes, nous accédions au même paysage musical. Et c’est là que, contre toute attente s’est établi le point d’équilibre entre ma recherche de l’épure archaïque fondatrice et la démarche de Gaspar vers une expression dépouillée, essentielle » affirme Pedro.

Ces retrouvailles donneront plus tard lieu à un « concert à emporter » réalisé par Vincent Moon et diffusé sur le site Internet La Blogothèque et qui fera le tour de planète. « Nous découvrons tout juste que nous appartenons à deux univers vastes, denses mais distincts, éloignés dans les temps et les espaces et que pourtant nous pouvons jouer ensemble, dresser un pont entre les racines du flamenco dans la guitare de mon père et la moderne curiosité de ma jeunesse dans mon violoncelle » rajoute Gaspar.

Mais par cette belle soirée d´été à la Carrière, c´est bien la décision d´enregistrer un disque ensemble qui se concrétise après une semaine de rencontre et de répétition passée aux côtés de l´équipe d´InFiné. « Je voulais qu’on sorte ce disque sur d´autres réseaux que celui du Flamenco » précise Gaspar. Le cloisonnement entre les genres semble définitivement appartenir à autre époque.

Après plusieurs mois d’hésitation sur le lieu et la manière, le duo finit par décoller pour New York, plus précisément à Brooklyn pour confier la production de « Barlande » à un proche de la famille, Bryce Dessner (guitariste de The National et créateur de Clogs). Si le duo amène avec lui les premières épreuves de certains morceaux, les sessions studio laisseront la part belle aux séances d’improvisation, parfois même avec des invités de passage. Rejoint par Bryce Dessner à la guitare et Sufjan Stevens à l’harmonium, l’une d’elle s’imposera comme le morceau de clôture d’album, le très Jarmushien « Encuentro en Brooklyn ».

« Barlande » et ses huit chapitres esquissent une musique forte, fidèle à ses racines mais novatrice et par conséquent une nouvelle pièce maîtresse de la discographie InFiné. « Le flamenco est dans son essence même une musique métisse, faite de rencontres, qui a voyagé entre sa préhistoire en Inde, son enracinement en Andalousie puis ses excursions vers le reste du monde. Je suis moi même né dans un monde où les espaces se réduisent, rapprochant les différentes cultures jusqu’à tisser de nouvelles planètes sonores. Je n’ai pas l’impression d’appartenir à une tradition précise mais plutôt de participer d’un véritable décloisonnement des genres musicaux. » conclut Gaspar.





TRACKLISTING

1_Insomnio mineral (Rondeña) 6:05
2_Guajira borrachita (Guajira) 3:34
3_Barlande (Seguiriya) 7:24
4_Caminos Caballitos de mar (Alegria) 2:53
5_Caballitos de mar (Alegria) 4:39
6_Sueños indecisos (Tientos) 7:44
7_Rostro descolorido (Saeta) 4:02
8_ Encuentro en Brooklyn (Minera) 9:23